La Fraise Blanche du Chili (Fragaria chiloensis) est une espèce de fraise sauvage dont l’aire de répartition s’étend sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud et du Nord mais aussi sur l’île d’Hawaï. Il s’agit ni plus, ni moins de l’une des deux espèces à l’origine de tous nos fraisiers de culture modernes ! L’histoire de sa découverte, et de son acclimatation en France remonte au 18ème siècle et vaut le détour.
Découverte du fraisier : Des fruits gros “comme un œuf de poule” !
C’est au 18ème siècle, qu’un Français au nom prédestiné, Amédée-François Frézier, ingénieur militaire, explorateur et cartographe, a pour mission d’ «observer» pour le compte du Roi de France, les fortifications espagnoles des ports du Chili et du Pérou. A Concepción (entre Valdivia et Santiago du Chili), sur la côte chilienne, son attention est attirée par un fraisier, appelé «Blanche du Chili» (Fragaria chiloensis), dont les fraises sont beaucoup plus grosses que celles du fraisier des bois, alors connue en Europe. Selon ses propres mots, “Ses fruits sont ordinairement gros comme une noix, et quelquefois comme un œuf de poule”. En 1714, en botaniste passionné, il rapporte en France cinq plants (sans le savoir uniquement des plants femelles) de ce fraisier inconnu (en les arrosant quotidiennement, alors que l’eau douce était à bord des navires une denrée très précieuse).
F. chiloensis x F.virginiana : Un croisement naturel fortuit !
A son retour en France, Amédée-François Frézier fit cadeau de deux plants de fraisier chilien à M. Roux de Valbonne, l’officier du bord chargé des réserves en eau (pour le remercier de la ration d’eau supplémentaire qui lui avait été accordée quotidiennement pour l’arrosage des fraisiers), puis il en offrit un à Lepelletier de Souzy (directeur général des fortifications de Louis XIV), remit un pied entre les mains d’Antoine de Jussieu (Botaniste au Jardin Royal de Paris), et garda le dernier pied qu’il planta dans le jardin de sa propriété de Plougastel. Pendant de nombreuses années, lui et tous les jardiniers à qui il confiera des plants n’obtiendront pas une seule fraise. Et puis, un beau jour, c’est le miracle : des fruits apparaissent ! En 1740, le botaniste et agronome Antoine Nicolas Duchesne observe qu’en l’absence de plant mâle, ces plants se sont hybridés fortuitement avec le fraisier de Virginie (fragaria virginiana) rapporté du Québec par Jacques Cartier un siècle plus tôt. Ce croisement spontané est à l’origine d’un nouvel hybride qui associe la saveur de Fragaria virginiana et la grosseur du fruit de Fragaria chiloensis. De ce croisement naturel naîtra une nouvelle espèce à l’origine de toutes les espèces modernes. Elle est baptisée Fragaria ananassa Duchesne en raison de sa saveur rappelant celle de l’ananas et du nom de son inventeur. Le fraisier des bois est alors progressivement abandonné au profit de Fragaria x ananassa qui sera cultivée de manière intensive sur la presqu’île de Plougastel à partir de 1760.
Quatre carrés réservés aux fraises dans le Potager du Roi !
A Versailles, Jean Baptiste La Quintinie, créateur du Potager du Roi, cultivait les fraisiers en abondance sous serres ou sous châssis. Le Roi Soleil en faisait une grande consommation avec du vin. Le potager du Roi abritait quatre carrés réservés aux fraises avec les variétés connues à l’époque : la fraise rouge de Virginie, la Blanche du Chili, la fraise des bois et le Capron royal, variété améliorée de la fraise des bois. En 1893, l’abbé Thivolet obtint une première variété remontante, la « Saint-Joseph » qui donnait une seconde récolte à l’automne. Aujourd’hui encore, la plupart des variétés cultivées sont des hybrides de variétés d’origine européenne, d’Asie tropicale et d’Amérique du Nord.
Sources : Jean Vitaux, Les petits plats de l’histoire, PUF, 2012, 208 p. (ISBN 2130587747), « L’espion qui ramena sa fraise », sur Le Point, 21 août 2008.